Un jour un homme vint voir un sage et lui demanda : Maître, que dois-je faire pour acquérir la sagesse ?
Le sage ne répondit pas.
Ayant répété plusieurs fois la question sans résultat, l’homme se retira. Mais il revint le lendemain et fit la même demande : Maître, que dois-je faire pour acquérir la sagesse ?
Toujours pas de réponse. Il revint le troisième jour en répétant encore : Maître, que dois-je faire pour acquérir la sagesse ?
Finalement, le sage se dirigea vers une rivière, et, entrant dans l’eau, pria l’homme de le suivre. Arrivé à une profondeur suffisante, il le saisit par les épaules et le maintint sous l’eau, en dépit des efforts qu’il faisait pour se libérer.
Au bout d’un moment, le sage le relâcha et quand l’homme eut à grand-peine retrouvé son souffle, le sage lui demanda : Dis-moi, quand tu étais plongé sous l’eau, quel était ton suprême désir ?
Sans hésitation le jeune homme répondit : De l’air, de l’air ! J’avais besoin d’air !
– N’aurais-tu pas préféré la richesse, les plaisirs, la puissance ou l’amour ? N’as-tu songé à aucune de ces choses ?
– Non, Maître, j’avais besoin d’air et ne pensais qu’à cela.
– Eh bien, reprit le sage, pour acquérir la sagesse, il faut la désirer aussi intensément que tu désirais de l’air, il y a un instant.
Il faut lutter pour elle à l’exclusion de tout autre ambition dans la vie. Elle doit être ta seule et unique aspiration, nuit et jour.
Si tu cherches la sagesse avec une telle ferveur, un jour, tu la trouveras.
Un paysan russe, Pakhôm, vivait sur ses terres. Le seul malheur, disait-il, c’est d’en avoir trop peu. Si j’avais de la terre à volonté, je n’aurais peur de personne.
Un voisin vint à mourir. Il voulut acheter sa terre. Il paya la moitié comptant; quant au reste, il s’engageait à le payer en deux ans. Ainsi vivait Pakhôm dans le bonheur.
Mais voici qu’un marchand vint à passer et lui dit :
– Pour mille roubles, chez les Baschkin, nomades asiatiques, au-delà de l’Oural, j’ai eu de la terre à n’en pouvoir faire le tour en marchant pendant tout un jour.
Pakhôm vendit sa terre et sa maison et partit. Il arriva chez les Baschkin, leur paya à boire et leur donna des présents. Il s’entendit avec eux.
– Notre prix est unique, lui dirent-ils. Mille roubles pour une journée.
– Mais, dit Pakhôm, on peut, en une journée faire le tour de beaucoup de terres.
– Oui, dirent-ils, tout sera à toi. Choisis la part qui te convient le mieux.
Les yeux de Pakhôm étincelèrent. Toute la terre était riche et grasse.
– Va, mais reviens assez tôt car si le soleil est couché, tu perdras tes mille roubles et tu n’auras rien.
Le lendemain dès l’aube, il se leva. Les Baschkin l’attendaient sur la colline. Il partit d’un pas régulier, fit une verste (ancienne mesure de longueur, qui était utilisée en Russie et valait 1 067 mètres), posa un jalon puis accéléra la marche.
Vers 8 heures, il ôta son habit et déjeuna. Puis il pensa : il faut y aller maintenant. Il marcha, il marcha. L’herbe était haute et il faisait chaud.
Pakhôm commençait à se fatiguer. Il était temps de dîner. Puis il repartit. Une heure à souffrir, pensait-il, mais un siècle à bien vivre !
Il allait tourner à gauche lorsqu’il aperçut un frais vallon. C’est dommage, pensa-t-il, de le laisser de côté, et il engloba le vallon.
Puis il regarda le soleil. Il était proche de son déclin, et les gens sur la colline se distinguaient à peine.
Pakhôm aurait voulu se reposer, mais le soleil n’attend pas. Il se met à courir. Ses pieds sont écorchés jusqu’au sang. Le voici au pied de la colline. Elle est déjà dans l’ombre. Mais les Baschkin lui crient: Cours ! Cours ! Ici le soleil n’est pas couché ! Il reprend haleine, fait un faux pas et tombe exténué en touchant le piquet d’arrivée.
– Bravo ! lui cria-t-on. Tu as gagné beaucoup de terre !
Son domestique accourt. Il veut le soulever, mais le sang coule de sa bouche. Il est mort.
Le domestique resta seul. Il creusa une fosse pour Pakhôm et il l’enterra.
Philémon, ami du grand orateur Démosthène, l’aborde sur la place du marché et lui demande :
– Maître, je veux vendre ma maison, tu la connais si bien pour l’avoir fréquentée lors de mes banquets.
Pourrais-tu écrire une belle annonce que je laisserai à la vue de tous sur l’agora ?
Démosthène prit une tablette de cire, un stylet et se mit à écrire :
« Je vends une propriété enchanteresse, où chantent les oiseaux dès que pointe l’aube, où le vent agite les feuilles des oliviers, où une eau de source cristalline coule en abondance, où le patio baigné par le soleil naissant du matin offre au soir une ombre tranquille. »
Des mois plus tard, Démosthène rencontre son ami et lui demande s’il a vendu sa propriété.
– Ah, non ! Je n’y pense même plus, lui répond-il. Quand j’ai lu ton annonce, j’ai compris quel trésor je tenais là et j’ai renoncé à m’en séparer.
Comme Philémon, il arrive souvent que nous passions à côté des bonnes choses que nous possédons, sans plus les remarquer.
Si personne ne nous ouvre les yeux, nous poursuivons des mirages en pure perte, alors que les trésors se trouvent à nos pieds.
Et si vous preniez quelques minutes aujourd’hui pour ouvrir les yeux sur ce que vous avez ?
Il y a fort longtemps, à l’époque où les brumes septentrionales inspiraient encore terreur et effroi, Arkan, le conseiller de Guvar, Roi de Nordik, fit un long voyage dans les pays lointains du Sud.
Il en ramena un objet mystérieux : une grande plaque de verre lisse, recouverte d’une fine couche d’argent, où se reflétait l’image de ceux qui s’y regardaient.
Un tel objet était totalement inconnu à Nordik.
Arkan voulut faire une surprise au roi Guvar. Il ne dit mot de son dessein et prépara une mise en scène susceptible d’étonner le Roi et la cour, tout en mettant en valeur sa découverte.
Ce qui, pensait-il, ne manquerait pas de rejaillir sur son prestige personnel.
Il fit installer secrètement l’objet en question dans une grande tente et imagina d’y faire pénétrer à tour de rôle les plus hauts dignitaires du royaume : le Grand Argentier du Roi, le Général en chef des armées et le Maître Magicien de la cour.
Le Grand Argentier entra le premier dans la tente et en ressortit aussitôt en disant : Il y a dans cette pièce un homme richement vêtu comme moi, qui me toisait d’un air hautain et qui portait les insignes de mon rang. Il doit s’agir d’un imposteur.
Cet homme est certainement dangereux.
Le Général en Chef pénétra à son tour dans la tente. À sa sortie, il affirma : Je me suis trouvé face à un guerrier redoutable qui s’approchait de moi d’un air menaçant quand je marchais vers lui et s’éloignait avec un regard méfiant quand je m’éloignais de lui. Cet homme est sûrement dangereux.
Le Maître Magicien s’avança alors. Dès qu’il resurgit, il déclara : Il y a dans cette pièce un magicien puissant, capable de tracer les gestes et signes magiques les plus secrets. Cet homme est extrêmement dangereux.
Alors, le Roi Guvar pénétra à son tour dans la pièce. On entendit un grand cri, puis un grand bruit. Il ressortit, tenant à la main quelques fragments de verre argenté.
Je me suis trouvé, dit-il, face à un homme portant le même casque royal que moi.
Il avait un air terrifiant. Quand j’ai dégainé mon épée, il a fait de même.
Quand je l’ai levée, il m’a immédiatement menacé. J’ai décidé alors de détruire cet usurpateur.
De toutes mes forces, je l’ai frappé. Il a été aussitôt réduit en pièces. Voici ce qui en reste.
– C’est l’argent avec lequel il comptait soudoyer nos ennemis, dit le Grand Argentier.
– Ce sont les restes de l’épée avec laquelle il voulait nous détruire, dit le Général en Chef.
– Ce sont les débris de la fiole du poison qui nous était destiné, dit le Maître Magicien.
– Mais non ! protesta Arkan. Il n’y avait dans cette pièce qu’un objet nommé “miroir”, qui reflétait votre propre image. Ces personnages que vous avez aperçus, c’était vous; il n’y avait là que votre propre reflet !
Après une brève délibération, le Roi et les trois hauts dignitaires déclarèrent qu’Arkan était un traître et qu’il n’avait ramené avec lui de son voyage lointain ces quatre personnages que pour mieux usurper leur propre pouvoir.
On le condamna à mort et il fut exécuté.
Le calme revint alors à Nordik.
Depuis ce jour-là, la bravoure du Roi Guvar est légendaire et sert d’exemple à toutes les générations.
Et si le monde nous renvoyait un reflet de nous-mêmes ?