Le miroir

Le miroir
Le miroir
 Texte de Charles Brulhart, Janvier 1996

Il y a fort longtemps, à l’époque où les brumes septentrionales inspiraient encore terreur et effroi, Arkan, le conseiller de Guvar, Roi de Nordik, fit un long voyage dans les pays lointains du Sud.

Il en ramena un objet mystérieux : une grande plaque de verre lisse, recouverte d’une fine couche d’argent, où se reflétait l’image de ceux qui s’y regardaient.

Un tel objet était totalement inconnu à Nordik.

Arkan voulut faire une surprise au roi Guvar. Il ne dit mot de son dessein et prépara une mise en scène susceptible d’étonner le Roi et la cour, tout en mettant en valeur sa découverte.

Ce qui, pensait-il, ne manquerait pas de rejaillir sur son prestige personnel.

Il fit installer secrètement l’objet en question dans une grande tente et imagina d’y faire pénétrer à tour de rôle les plus hauts dignitaires du royaume : le Grand Argentier du Roi, le Général en chef des armées et le Maître Magicien de la cour.

Le Grand Argentier entra le premier dans la tente et en ressortit aussitôt en disant : Il y a dans cette pièce un homme richement vêtu comme moi, qui me toisait d’un air hautain et qui portait les insignes de mon rang. Il doit s’agir d’un imposteur.

Cet homme est certainement dangereux.

Le Général en Chef pénétra à son tour dans la tente. À sa sortie, il affirma : Je me suis trouvé face à un guerrier redoutable qui s’approchait de moi d’un air menaçant quand je marchais vers lui et s’éloignait avec un regard méfiant quand je m’éloignais de lui. Cet homme est sûrement dangereux.

Le Maître Magicien s’avança alors. Dès qu’il resurgit, il déclara : Il y a dans cette pièce un magicien puissant, capable de tracer les gestes et signes magiques les plus secrets. Cet homme est extrêmement dangereux.

Alors, le Roi Guvar pénétra à son tour dans la pièce. On entendit un grand cri, puis un grand bruit. Il ressortit, tenant à la main quelques fragments de verre argenté.

Je me suis trouvé, dit-il, face à un homme portant le même casque royal que moi.

Il avait un air terrifiant. Quand j’ai dégainé mon épée, il a fait de même.

Quand je l’ai levée, il m’a immédiatement menacé. J’ai décidé alors de détruire cet usurpateur.

 De toutes mes forces, je l’ai frappé. Il a été aussitôt réduit en pièces. Voici ce qui en reste.

– C’est l’argent avec lequel il comptait soudoyer nos ennemis, dit le Grand Argentier.

– Ce sont les restes de l’épée avec laquelle il voulait nous détruire, dit le Général en Chef.

– Ce sont les débris de la fiole du poison qui nous était destiné, dit le Maître Magicien.

– Mais non ! protesta Arkan. Il n’y avait dans cette pièce qu’un objet nommé “miroir”, qui reflétait votre propre image. Ces personnages que vous avez aperçus, c’était vous; il n’y avait là que votre propre reflet !

Après une brève délibération, le Roi et les trois hauts dignitaires déclarèrent qu’Arkan était un traître et qu’il n’avait ramené avec lui de son voyage lointain ces quatre personnages que pour mieux usurper leur propre pouvoir.

On le condamna à mort et il fut exécuté.

Le calme revint alors à Nordik.

Depuis ce jour-là, la bravoure du Roi Guvar est légendaire et sert d’exemple à toutes les générations.

Et si le monde nous renvoyait un reflet de nous-mêmes ?