Un matin, frère Valentin qui n’avait pas bien dormi, vint trouver l’abbé Guillaume, vieil homme empli de sagesse :
— Père, dites-moi une parole, comment trouver la tranquillité ? Partout le monde est agité par la haine et quand ce ne sont pas les guerres que les hommes fomentent, ils se vautrent dans les vices les plus noirs. Dites-moi, père, comment devenir meilleur et ne pas suivre ce mauvais exemple ?
Le vieillard lui dit: — Va au cimetière et injurie les morts.
Le frère Valentin, quelque peu étonné, se mit pourtant en marche vers le cimetière. Il fit grincer le petit portail et se posta au beau milieu des tombes. D’abord timidement puis plus franchement, il injuria les morts et finit même par leur jeter des pierres…
Il revint informer l’abbé Guillaume de son étrange exploit. Celui-ci lui demanda:
— Et alors ils ne t’ont rien dit ?
— Non.
Le vieillard lui dit: — Retourne les voir demain et adresse-leur des louanges.
Le frère, toujours aussi incrédule, se mit en route le lendemain matin, cueillit quelques fleurs sur le bord du chemin et entra dans le cimetière silencieux.
Il défila entre les tombes, déposant ça et là une fleur, louant les morts par ces mots: « Apôtres, saints, justes, vous êtes bénis de Dieu, illustres ancêtres, exemples parmi les exemples ! »
Puis il revint au monastère, devant la cellule de l’abbé, frappa timidement à la porte et entra :
— Ci-fait mon Père, je les ai loués.
Le vieillard lui demanda :
— Ils ne t’ont rien répondu ?
— Non.
L’abbé Guillaume sourit et lui dit alors :
— Cher Valentin, tu sais toutes les injures que tu leur a dites et ils ne t’ont rien répondu, toutes les louanges que tu leur a adressées et ils ne t’ont rien dit; de même, toi aussi, si tu veux être tranquille, tenir le péché éloigné et la colère enfouie, sois sur cette terre à l’image d’un cimetière silencieux aux tombes apaisées, ne tenant compte ni de l’injustice des hommes, ni de leurs louanges.
Merveilleuse journée – Mabelle