— Maître, je suis fatiguée de cacher qui je suis vraiment, à mes amis, à mes parents, au monde… J’aimerais arriver à être moi, sans compromis, cesser de me corrompre pour plaire, de faire semblant pour ne pas blesser, ou être jugée…
— C’est de toi-même que tu te caches… Si tu ne peux être toi- même face au monde, c’est parce que tu ne te regardes pas en face. Il y a une part de toi que tu cherches à fuir. Un aspect de toi que tu ne souhaites pas que les autres voient, et te renvoient.
— Pouvez-vous m’en dire plus ?
— Toute ta vie, n’est qu’une succession d’échecs. Un immense échec. Tu n’as rien réussi, ni ce qu’on a toujours attendu de toi, ni ce que tu as le plus espéré. En même temps, toute ta vie est une succession de succès, tu as absolument tout réussi, traversé toutes les épreuves, et remporté toutes les batailles que tu as menées. Tu es ridicule et grandiose, minable et majestueuse, incapable de regarder ces deux vérités en face et d’embrasser ce que tu es vraiment, alors tu te bats pour être le contraire de ce que tu ne veux pas voir de toi. Ces deux extrêmes te sont insupportables, alors tu traverses la vie en essayant de tenir debout au milieu. Et ta vie est une tentative de sauvegarde des apparences, que tu considères à présent comme un insupportable compromis, un éternel mensonge au monde, qui cache la plus grande vérité à ton sujet.
— Laquelle est-elle ?
— Qu’à la fois tu ne sera jamais à la hauteur de ce qu’on attend de toi, et qu’en même temps, tu as déjà tout réussi, et que tu es sortie triomphante de tout, et qu’il en sera toujours ainsi. C’est en embrassant pleinement ces deux insupportables vérités à ton sujet, que tu transcendes le besoin de paraître ni trop faible, de peur d’être rejetée, ni trop forte, de peur d’être jugée. C’est cela se rencontrer soi, c’est s’accepter dans toute l’étendue de ce que nous sommes, au-delà du perpétuel jugement que tu émets à ton sujet.C’est dire oui, et sourire en face, quand on te dit que tu es belle, grande et extraordinaire. Et dire oui, quand on te fait sentir tout le contraire. Mais fais bien attention, être soi-même, en acceptant ta lumière et ton ombre, irritera et effraiera ceux qui se fuient eux-mêmes… C’est réaliser que ceux qui nous empêchent d’être nous-même, ne se sont jamais rencontrés eux-mêmes, n’ont jamais regardé en face leur incapacité à être ce qu’ils ont envie d’être. Atteindre cet endroit-là de conscience de Soi, puis d’acceptation de ce que tu es vraiment, c’est être capable de s’effondrer, d’abandonner et de se rendre. S’ouvre alors cet espace où tu cesses de te corrompre, de te cacher, de chercher à plaire, et où enfin, tu te rencontres et permets à l’autre de te rencontrer vraiment. C’est cesser ce gigantesque commerce affectif où nous cherchons tous à remplir les attentes de l’autre, pour enfin recevoir ce que nous refusons de voir en nous-même.
Stephan Schillinger – extrait des livres « Par un Curieux Hasard »