Conte entre les lignes

Ligne droite et Ligne courbe se chamaillaient constamment

« Va tout droit! Etire-toi! » disait ,excédée, Ligne droite à Ligne courbe.

« Mais ne sois donc pas si rigide! Détends-toi! » répliquait, agacée, Ligne courbe sa voisine.

lignes

La quadrature du cercle en quelque sorte. Le spectacle était bien affligeant.

 Assis sur un banc d’école, un garçonnet formait avec ardeur de belles majuscules.

 « Chut! Je suis distrait à cause de vous et je vais faire des fautes. Après les N, je dois encore écrire des O ».

 Ligne droite et Ligne courbe, honteuses qu’un enfant les sermonnât, se tinrent tranquilles.

 Soudain, on entendit claquer trois fois des mains et une voix d’homme annonça la leçon de géométrie.

« Prenez votre compas et faites un beau cercle »

 Ligne courbe s’enfla et gonfla d’aise, il n’y en avait que pour elle!

 Cela ne dura pas longtemps, car le maître ajouta « Et, à l’aide de votre latte, tracez un carré de 4 cm de côté »

 A son tour, Ligne droite se redressa fièrement

 Chacune avait gagné une bataille, mais la guerre n’était pas finie!

 Pendant que la classe s’appliquait à la tâche, les rivales, entre deux paroles blessantes, regardaient autour d’elles.

Au-dessus de la vieille horloge, les alphabets modèles, majuscules en rouge et minuscules en bleu, illustraient l’art de la calligraphie.

 « Oh! Je sui là …, là … et encore là … » s’enorgueillit Ligne droite. « Et je peux être oblique! »

 « Moi aussi je suis partout. Et je peux être ovale » riposta Ligne courbe sans aucune modestie.

L’écolier perdit patience « Taisez-vous! Vous m’empêchez de travailler »

 Allaient elles enfin se calmer ? Si sûres de leur bon droit et tellement obstinées, elles n’avaient pas vu que , dans les phrases écrites au tableau noir, l’une était aussi présente que l’autre. Quand donc remarqueraient-elles qu’elles se juxtaposaient, se rattachaient, s’enlaçaient, même dans tous es livres et les cahiers.

 La forte voix s’éleva à nouveau, apportant une bonne nouvelle « Après la leçon de lecture, vous pourrez dessiner »

Ce fut une explosion de joie. Amusé, le maître laissa faire.

 Clin d’oeil à Ligne droite, sourire à Ligne courbe, le petit garçon chuchota « Je vais dessiner ma maison, le ciel, le chemin et des fleurs et … un ruisseau »

L’artiste en culotte courte imaginait sa maison aux fenêtres garnies de rideaux rouges, il n’oublierait pas la cheminée d’où s’envolerait un serpentin de fumée. Il rêvait d’un ciel bleu et d’un soleil à la mine réjouie parmi quelques nuages blancs. Des yeux, il suivait le chemin sinueux menant à l’horizon. Crolles multicolores perchées sur de hautes tiges, les fleurs des champs se balançaient au gré du vent. Elles sentaient bon.

Un pont enjambait le ruisseau et déjà, le clapotis de l’eau résonnait dans sa tête.

Le maître observait ses élèves. Il semblait aussi heureux qu’eux.

La cloche sonna et les enfants abandonnèrent leur dessin. Ils avaient réalisé de belles choses. Ligne droite et Ligne courbe ne cachaient ni leur émotion, ni leur contentement. Les couleurs vives leur allaient si bien! Elles avaient même envie de s’échanger des compliments

Bien que ce fût la récréation, elles parlaient à voix basse :

« Sans toi, je serais sévère et ennuyeuse » avoua Ligne droite

« Et sans toi, je tournerais en rond » reconnut Ligne courbe qui, on ne sait ni pourquoi, ni comment, promit de … se dérouler et d’aller droit

 « J’arrondirai les angles et je … » allait renchérir Ligne droite lorsqu’elles éclatèrent de rire.

Non, elles ne risquaient aucune remarque, les enfants s’ébattaient gaiement dans la cour de l’école.

 « Ne soyons pas ridicules! Restons comme nous sommes : toi, joufflue et rebondie, moi raide et fine ».

 « Oui, ces petits ont tellement besoin de nous! » sourit Ligne courbe.

 « Et quand ils seront grands, nous les aiderons souvent à souligner ou encadrer l’essentiel, ouvrir et fermer des parenthèses, tirer un trait parfois ».

Elles firent la paix et demeurèrent fidèles à elles-mêmes : l’une, directe et énergique, signe de droiture, de stabilité et d’équilibre, l’autre, ronde et épanouie, symbole de souplesse, de légèreté et de fantaisie. Mais derrière les apparences, Ligne droite avait la douceur et l’harmonie de Ligne courbe, et celle-ci portait en elle la force et la détermination de son amie, aucune des deux ne l’avouant à l’autre.

A chacun sa place, à chacun son rôle !

Merveilleuse journée – Mabelle

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